lundi 19 mars 2018

Évaluer le développement professionnel des enseignants

Chaque année et de manière ritualisée, les enseignants vont consacrer quelques journées de travail à leur formation continuée (formation continue, formation en cours de carrière ou développement professionnel). Elles ont lieu soit lors de formations organisées en interne dans leur établissement, soit en externe en fonction de leurs préférences ou intentions avec des enseignants provenant d’autres établissements.

Comment pouvons-nous savoir si elles sont utiles ? Comment évaluer leur impact réel ? Le but de cet article est de mettre en évidence ce que la recherche dit des critères d’une formation continue de qualité.


(photographie : Aaron Blum)



Adopter un point de vue critique sur le développement professionnel


Si nous nous intéressons aux questions de l’efficacité et des données probantes en matière d’éducation, le développement professionnel devient un vecteur essentiel, car a priori, s’il est bien mené  :
  • Il développe l’expertise des enseignants.
  • Il permet de rendre les enseignants plus efficaces et par là, a un impact sur la réussite des élèves.
  • Il est un vecteur essentiel dans le cadre de pilotage du changement dans un établissement scolaire, plus particulièrement s’il s’agit d’introduire un nouveau programme ou de nouvelles pratiques pédagogiques.

Pour atteindre ces résultats, le développement professionnel doit respecter différentes règles de conception. Sans quoi, il risque de mener à des journées de développement professionnel exsangues où les enseignants désengagés n’apprennent quasi rien au final ou s’ils apprennent, ils ne le traduisent pas en changements concrets dans leurs classes.

Par conséquent, en tant qu’enseignants, nous devons adopter un point de vue critique sur le développement professionnel qui nous est proposé. 

La diapositive suivante reprend quatre objectifs auxquels devrait répondre tout développement professionnel s’il vise à :
  • Augmenter l’expertise des enseignants en se fondant sur des données probantes
  • Gagner leur adhésion
  • Améliorer concrètement leurs pratiques en classe
  • Avoir un impact sur la réussite de leurs élèves

Si la réponse à un de ces quatre objectifs est non, alors le développement professionnel tel que proposé n’a pas raisonnablement lieu d’être, car le temps des enseignants est précieux.

La diapositive suivante, utilisée dans un contexte de développement professionnel illustre la mise en œuvre de cet esprit critique auprès d’enseignants : 




La première idée est que les enseignants ne soient pas réduits au rôle d’observateurs passif. Comme toute amélioration des approches nécessitera une pratique délibérée de leur part, il est nécessaire de partir de leurs connaissances préalables, de trouver une adhésion et un dénominateur commun. Nous allons tous devoir parler de la même chose.

Le fait de s’appuyer sur des pratiques efficaces fondées sur des données probantes est un atout précieux. Nous partons avec des preuves empiriques que ce que nous allons essayer de mettre en œuvre a de grandes chances de fonctionner. 

Tout cela repose sur l’idée première qu’un formateur devrait toujours pouvoir étayer une assertion avec des preuves et en indiquer la source. Ce qui devrait être un prérequis de tout développement professionnel fait parfois cruellement défaut dans certaines formations continues.

La deuxième idée est de convaincre les enseignants de les adopter et d’y travailler par une pratique délibérée et idéalement collaborative. Nous devons nous intéresser leur mode d’application concrète, à la cohérence qu’ils peuvent y trouver et à l’impact que cela représente pour leurs tâches et pour leurs élèves. 

L’enseignant disposant d’une liberté pédagogique a besoin d’être convaincu pour adopter de nouvelles pratiques. Il faut la perspective d’un mieux pour accepter l’inconfort temporaire du changement des habitudes. De même, le soutien de collègues dans le cadre d’une communauté d’apprentissage professionnelle est précieux.

La troisième idée et non la moindre c’est de garder à l’esprit que le seul objectif valable est qu’in fine, les élèves soient bénéficiaires de la démarche. Cette dimension concrète nécessite une réelle optimisation, une mise en contexte et une compréhension des paramètres sous-jacents. 




Le contenu, le processus et le contexte du développement professionnel


Le modèle d’évaluation du développement professionnel à cinq niveaux a été développé par Thomas R. Guskey dans le cadre de son livre Evaluating Professional Development (1999). Ce modèle est utilisé par Mario Richard et ses collègues (2017) dans le cadre de leurs recherches sur la qualité du développement professionnel. 

C’est une synthèse de leur rapport que nous entamons avant de poursuivre dans un second article sur les conclusions de leurs propres recherches.

Quelle est la vision de Thomas R. Guskey et comment a-t-il construit son modèle ?

Ce que nous cherchons avant tout à évaluer est la relation fonctionnelle entre le développement professionnel des enseignants et l’amélioration de l’apprentissage de leurs élèves.

La qualité d’une formation est influencée par divers facteurs prédominants que nous pouvons classer en trois grandes catégories : le contenu, le processus et le contexte.



Le contenu — le quoi


Ce sont les savoirs et des habiletés à acquérir par les participants ainsi que leurs fondements théoriques. Ceux-ci peuvent s’inscrire dans différentes perspectives : 
  • Liées à la matière : développer une meilleure compréhension d’un programme d’études particulier, éventuellement nouveau ou fournir des approfondissements sur des parties de celui-ci.
  • Liées aux pratiques : s’approprier de nouvelles pratiques pédagogiques liées à l’enseignement, à l’apprentissage ou à l’accompagnement des élèves.
  • Liées au processus : prendre connaissance, assimiler et intégrer les attendus d’un programme, en matière de compétences des élèves, ainsi que les modalités d’évaluation qui y sont liées.
Ces éléments de contenus demandent une adéquation avec le contexte de travail de l’enseignant, rentrent dans ses fonctions et peuvent constituer une obligation.

L’enseignant doit à la fois, s’adapter, progresser et maintenir ses connaissances et compétences à jour. Le tout fait partie constituante de la compétence professionnelle et du développement de l’expertise.

L’enseignant doit au minimum se tenir à jour en ce qui concerne les contenus, les processus d’évaluation, les exigences légales, de même correspondre aux approches pédagogiques décrites. 

La nécessité et la disponibilité du contenu ne font pas tout. Nous devons également envisager les conditions de sa transmission. Vouloir par exemple que des enseignants changent trop de choses en même temps, risque de n’aboutir qu’au maintien d’un statu quo. Nous devons également tenir compte de leurs connaissances préalables et de leurs éventuelles conceptions erronées.

Les différents aspects pratiques de la mise en œuvre des savoirs et habiletés nouveaux doivent également être considérés. Quelle est l’ampleur du changement escompté ? Quelle est la charge de travail attendue ? Qu’en est-il de l’adhésion ou de la résistance aux changements proposés ? Est-ce en accord ou en désaccord avec les conceptions et croyances des enseignants ? Comme envisager le processus d’apprentissage et de pratique délibérée qui permette une réelle consolidation des objectifs ?



Le processus — le comment


Le processus englobe différents aspects comme les types d’activités de formation proposés, la planification, l’organisation, les supports mis à disposition et l’approche pédagogique choisie.

Il concerne aussi les dimensions du suivi et de l’accompagnement prévus. Est-ce que la formation est d’un bloc sans rencontres ultérieures ? Est-elle divisée en séquences distribuées sur de longues périodes, permettant des moments d’évaluation, d’échanges, d’observation et d’ajustement ?

La plupart des écrits sur la qualité de la formation continue ont identifié cette dimension comme étant un aspect crucial du succès ou de l’échec de toute activité de perfectionnement professionnel.

Le suivi et l’accompagnement représentent des éléments clés favorisant une mise en œuvre adéquate et rapide en classe du contenu des activités de formation continue.





Le contexte — le qui, le quand, le où et le pourquoi 


Le contexte concerne l’organisation du système à l’intérieur duquel se déroule, est intégrée et est pensée l’activité de développement professionnel.

Le contexte s’intéresse aux caractéristiques du public d’enseignants et aux objectifs d’implantation visés en lien avec une population scolaire donnée.

Il est fortement dépendant du leadership de la direction d’école et du soutien offert aux enseignants qui s’impliquent.

Des activités de formation continue contextualisées sont naturellement en lien avec le projet de mise en œuvre de nouvelles stratégies pédagogiques. Elles constituent un aspect essentiel de son succès. 

Il existe une base de savoirs professionnels en éducation. Plusieurs principes de développement professionnel apparaissent universels. Toutefois, certains éléments de contenu et de processus en matière d’implantation et de formation continuée doivent être contextualisés. Cette contextualisation se fait selon les caractéristiques culturelles et organisationnelles de l’établissement scolaire considéré, les spécificités des élèves et celles de l’environnement socio-économique.



Modèle d’évaluation du développement professionnel à cinq niveaux


Le modèle d’évaluation du développement professionnel à cinq niveaux a été développé par Thomas R. Guskey dans le cadre de son livre Evaluating Professional Development (1999).

Au départ des trois grandes catégories que nous venons de développer, un modèle à cinq niveaux est élaboré. Ce modèle évalue l’efficacité des activités de développement professionnel.

Chaque niveau s’appuie sur le précédent. L’obtention du succès au niveau inférieur représente généralement un prérequis pour l’atteinte du niveau supérieur.




Niveau 1 : la réaction des participants 


Le recueil de l’avis et des impressions des participants à une formation par un questionnaire après celle-ci constitue le premier niveau d’évaluation du développement professionnel. C’est le type d’évaluation le plus courant et le plus aisé à réaliser.

Il est dans la logique d’un système scolaire d’évaluer de cette manière.

Les questions posées se focalisent sur le niveau subjectif d’appréciation des participants :
  • Sont-ils satisfaits, ont-ils eu l’impression d’apprendre quelque chose ou de perdre leur temps ? 
  • Les supports d’apprentissage sont-ils adéquats ? 
  • Les activités réalisées étaient-elles intéressantes ? 
  • Le formateur était-il compétent, enthousiaste, authentique ? Était-il à l’écoute de leurs questions et de leurs difficultés ? 
  • Respectait-il leur rythme d’apprentissage ? 
  • Son enseignement favorisait-il la compréhension, l’engagement actif et les échanges ? 
  • La formation leur a-t-elle été utile et est-elle directement applicable, du moins en partie, ou demande-t-elle des approfondissements ?

Lorsqu’un développement professionnel se déroule en plusieurs sessions, le recueil et la prise en compte de l’avis des participants permettent de faire évoluer le dispositif au fur et à mesure. Nous pouvons ainsi mieux rencontrer à la fois leurs attentes et les objectifs, dans une perspective d’évaluation formative.



Niveau 2 : le niveau d’apprentissage des participants 


Avoir apprécié et s’être senti concerné par la formation est certes un prérequis et un critère important, mais insuffisant. Encore faut-il que les participants aient appris effectivement quelque chose d’utile.

L’idée à ce niveau serait de procéder à une évaluation sommative du niveau des participants au sortir de la formation et d’une évaluation formative au cours de celle-ci.

L’objectif est d’évaluer dans quelle mesure les savoirs et savoir-faire sont acquis et vont pouvoir influencer leurs pratiques auprès de leurs élèves.

Ce niveau deux a quelques implications :
  • La formation doit être conçue comme un enseignement efficace construit autour d’objectifs pédagogiques fixés au départ et utilisés à travers tout le processus. 
  • Les enseignants formés doivent être au fait du processus en cours et du fait qu’ils seront évalués. 
  • Un simple questionnaire standardisé distribué subrepticement à cette fin au terme de la formation ne peut donc pas fonctionner.

Le niveau 2 impose que la formation soit conçue comme une séquence d’enseignement visant des apprentissages spécifiés dès le départ. De fait, elle imposerait une forme de vérification de la compréhension en cours de formation, telle que l’enseignement explicite la conçoit.



Niveau 3 : le soutien organisationnel aux changements attendus


Considérons que le contenu d’une formation continue est cohérent avec ses objets, apprécié par les enseignants qui la suivent et que ceux-ci développent des compétences. Il convient alors de s’intéresser au cadre dans lequel leur mise en œuvre aura lieu.

Au niveau 3, nous nous intéressons au leadership pédagogique et à l’organisation du soutien et des moyens mis en place pour favoriser les changements prévus par la formation, au sein des pratiques professionnelles effectives des enseignants concernés.

Les variables organisationnelles sont un élément déterminant du succès de tout programme de développement professionnel. Le changement de pratique demande une remise en question de certaines routines des enseignants et leur demande de sortir de leurs automatismes pour implanter des changements.

Un manque de soutien de la part de la direction peut venir miner les efforts faits par les enseignants pour implanter de nouvelles stratégies pédagogiques dans l’école. Les gains des niveaux 1 et 2 sont susceptibles d’être sabordés par un niveau 3 déficient.

Une démarche d’évaluation du développement professionnel implique de recueillir des informations sur divers sujets :
  • Quels sont les moyens de facilitation ?
  • Quelle est la prise en compte de spécificités, des difficultés rencontrées et des enjeux évoqués ?
  • L’implication de la direction est-elle suffisante ? 
  • La crédibilité que la direction accorde aux investissements facilite-t-elle suffisamment les aboutissements ?



Niveau 4 : le niveau de réinvestissement des savoirs, savoir-faire et savoir-être 


Considérons que les enseignants sont volontaires, motivés, bien formés, crédibilisés et soutenus dans leur mise en œuvre. La question qui se pose alors concerne le degré de fidélité avec lequel ils vont appliquer dans leurs classes le contenu de la formation.

Nous devons évaluer la qualité et la fidélité de la mise en œuvre. Pour cela, nous devons laisser un certain délai aux participants et disposer d’indicateurs explicites et partagés. 

Nous devons tenir compte du fait que les participants vont adapter les pratiques à leurs contextes particuliers et que des ajustements sont parfois nécessaires. De même, la mise en place peut être progressive. L’implantation est un processus graduel et parfois en balancier, il peut être nécessaire de mesurer les progrès réalisés à différents intervalles d’autant plus s’il existe une forme de support mis en place pour accompagner les enseignants.



Niveau 5 : l’impact sur l’apprentissage des élèves


Si les enseignants sont volontaires, motivés, bien formés, crédibilisés et soutenus dans leur implantation et mettent en place correctement la pratique visée, il reste une dernière donnée à évaluer : l’impact effectif sur les élèves : 
  • Le développement professionnel implanté fidèlement rencontre-t-il les effets escomptés sur l’apprentissage des élèves ? 
  • L’effet constaté est-il fidèle à ce que nous pouvions espérer en fonction des données probantes de la recherche ?

Nous devons tenir compte des impondérables ou de facteurs imprévus à l’origine. Une implantation, même fidèle et réussie, peut également produire des résultats indésirables.

Dans cette perspective, les évaluations devraient toujours prévoir des mesures variées de l’apprentissage des élèves. Par exemple, des interventions spécifiques dans une branche, par exemple le cours de mathématiques, pourraient améliorer le résultat des élèves dans ce cours, mais également le baisser dans d’autres cours du fait par exemple d’un surinvestissement consenti. Il faut rester attentif à ces cas de figure. 

Les mesures de l’apprentissage des élèves ont intérêt à venir d’indicateurs de performance standardisés pour éviter des effets de biais. L’influence sur d’autres dimensions comme la motivation, le comportement ou le bien-être des élèves sont aussi à envisager afin d’avoir un aperçu global. Des questionnaires et des entrevues peuvent être réalisés avec les élèves eux-mêmes, leurs parents, les enseignants et la direction d’école.



Conclusion


L’évaluation du succès d’une implantation est un processus complexe, de même que sa mise en œuvre. Un recueil d’information le long de ces cinq niveaux est important, car il permet de déceler précisément des failles sur lesquelles agir dans un second temps.

Un constat de succès à un niveau n’amène jamais de certitude sur la réussite au niveau suivant. Toutefois, la réussite d’un niveau est dépendante du succès des niveaux inférieurs.

Une telle démarche d’évaluation à cinq niveaux est rigoureuse et sérieuse et permet d’échapper à nombre d’interprétations biaisées. Elle est essentielle à un pilotage effectif des projets. En cas de difficulté rencontrée, elle permet d’identifier les cibles sur lesquelles agir. Elle empêche également de s’avancer à l’aveuglette.

Imaginons qu’une intervention innovante soit proposée. Considérons qu’elle n’apporte que peu ou pas de données probantes sur son succès potentiel. Nous concevons aisément qu’au niveau scolaire, il n’est peut-être pas prudent de s’investir massivement dans cette direction.



Mise à jour le 28/08/2021

Bibliographie


Richard, M., Carignan I., Gauthier, C. et Bissonnette, S. (2017). Quels sont les modèles de formation continue les plus efficaces pour l’enseignement de la lecture et de l’écriture chez les élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire ? Une synthèse de connaissances. Rapport de recherche préparé pour le Fonds de recherche Société et culture du Québec et le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Programme Actions concertées. Québec : Université TÉLUQ

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